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Chatouillement De L'Âme
19 janvier 2011

Empreintes et Sortilèges 8

La lune les observe. Mélophine se blottit, gémit quelques tremblements à la surface de son silence. Arcan s’approche d’elle, déchire le voile de ses fantômes, enfouis au fond de ses paupières fermées. Il a peur de comprendre. En croisant sa douleur, il tente de l’apprivoiser. Elle se rétracte. Le corps de Mélophine signe la béance du vide, celle du manque. Son front est brûlant, ses mains glacées. Elle le supplie de ne rien faire, lui prend la main, l’enserre. Il restera toute la nuit à la regarder, sans la lâcher du regard, à s’assoupir parfois, pour la scruter de nouveau. Elle dort, d’un souffle précipité. Il a froid lui aussi. Il s’allonge, se blottit, frissonne, avant de sombrer dans le gouffre des cauchemars de Mélophine.Un bruit, un souffle étrange, le réveille. Une présence maléfique vibre dans la pièce, alors que l’aube jette son regard neuf sur le monde.

 

Arcan sait depuis longtemps qu’il a quelque chose de plus que les autres. Déjà, enfant, son jeu préféré était de détourer les auras de ses congénères, sur la gamme des camaïeux de bleus : Bleu pétrole, bleu turquoise, bleu céruléen, bleu émeraude, bleu ciel, parfois grisé. Selon la teinte du cercle de lumière enveloppant les individus, Arcan devinait leurs états d’âme. Quand son père s’enroulait dans un bleu Prusse, son fils détalait, fuyant la colère paternelle, qui cognait jusqu’à se libérer dans un fracas de cris menaçants. Sa mère s’enroulait le plus souvent d’un doux bleu clair.

 

Aujourd’hui ce n’est pas un dérivé de bleu qu’il discerne, mais une lueur rouge, hostile, dans l’angle de la chambre. Il pressent un péril. « Rassemble-toi, observe avant de bondir dans le vide ». Ses yeux divinatoires, son seul salut, fouillent la chambre. Une ombre de haute stature, encapée, veille, immobile. Arcan pose délicatement sa paume sur les lèvres de Mélophine et lui fait ouvrir les yeux. Elle le regarde. Silencieusement, il lui indique le danger.

 

Trekaï est là, tapi comme une bête traquée. Bafoué, animé par un désir de vengeance, il entend briser Mijoty. Mélophine est l‘instrument idéal de sa revanche. Il a assisté en coulisse à son baptême. Le temps est venu de démasquer la nouvelle Présidente, pour lui barrer la route. Profitant de l’alignement des planètes, avec la complicité de ses derniers disciples, il a échappé à la vigilance de ses juges. Ce déplacement cosmique d’une durée de 22 minutes, déclenche un éblouissement tel que la vision en est altérée; le temps pour chaque astre de reprendre place dans la constellation.

 

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Le sorcier déchu, déjà plongé dans le noir depuis sa sentence, a saisi cet évènement rarissime, pour orchestrer son évasion.  Ses détracteurs l’ont livré à la radiation du soleil, plutôt qu’aux cachots situés sous les voûtes humides et froides du souterrain de l’aile droite, inaccessibles sans l’autorisation formelle de la Présidente. C’était sans compter avec les alliés de Trekaï, parmi la communauté de ses élèves, en particulier ceux issus de la promotion de Mijoty, dont certains la jalousent. Sept d’entre eux profitent de cette occasion pour lui nuire, en aidant Trekaï à s’évader de sa geôle solaire. Sous la menace d’une dévaluation de leurs pouvoirs, les gardes ont du s’associer aux conspirateurs. Rappelons-nous que l’essence de l’existence du sorcier s’incarne dans ses dons, ses charmes, sa force. En diminuer la portée, l’étendue, la valeur, ouvre une blessure incurable, à vif pour l’éternité.

 

Ahuri de voir sur les lieux, Arcan son protégé, un moment d’hésitation stoppe l’élan vengeur de Trekaï. Privé de ses yeux, seules le guident ses perceptions auditives. Il écoute très attentivement les rythmes respiratoires de Mélophine et guette la moindre de ses variations, pour interférer dans son psychisme. Il compte utiliser contre elle, son pouvoir d’inception, qui consiste à modifier la structure psychique des humains, pendant la phase de sommeil paradoxal, le moment des rêves, où le préconscient et le conscient sont assujettis par l’inconscient. L’homme est alors à la merci de ses démons intimes. Trekaï n’a plus alors qu’à semer le désordre dans la psyché et au réveil, à son insu, sa victime n’est plus tout à fait la même. Mais Mélophine en est encore au stade intermédiaire, trop agitée par des micro-réveils. Il ne réussit pas à s’immiscer derrière l’écran de ses pensées, ni à capturer le moindre élément de ses songes, pour la corrompre à sa guise.

 

Arcan patiente. Il se souvient de ses entrainements de jujitsu. Toujours attendre que l’adversaire approche, maintenir une vigilance, aiguiser sa perception pour démasquer les intentions de son attaquant. Anticiper sa garde pour une défense calculée. D’un battement de cils, Mélophine acquiesce à sa prudence. En une rafale, l’ombre surgit, déchirant les derniers voiles de la nuit. Trekaï s’est décidé à passer à l’attaque le premier. S’abattant sur Mélophine, elle se laisse rouler à terre, tandis qu’Arcan s’arc-boute contre l’assaillant. Il est pris de convulsions, submergé par son hypervision de l’être maléfique.

 

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    Trekaï, aveugle, déclame : « Que le mal t’anéantisse par le sacre de     Thanatos ». Mélophine roulée en boule au pied du lit, irradie alors d’une voix surnaturelle son cri primitif, transperce les ondulations belliqueuses et guerrières des deux combattants.     D’une impulsion inattendue, elle s’immobilise devant le sorcier, agrafe son regard sur ses orbites blanches, sans vie, ténorise une tornade puis se déploye en soprano, sous des ondulations     déchirantes. L’écume de sa rage déferle sur son adversaire. Trekaï résiste, se contorsionne, s’affaisse au sol. Arcan, chancelant, se redresse sans comprendre. Il entend bien cette symphonie     stridente, qui crible ses tympans. Mais quelle en est la source ? Les mains en coquille protégeant ses oreilles, il scrute Mélophine, envoilée d’un bleu Prusse, dont la voix s’apaise. Le     sorcier est à terre, abattu pour un moment. Arcan attrape avec fermeté Melophine qui exténuée, se laisse conduire. Dévalant les escaliers, ils se réfugient chez Arcan. Lui intimant de ne plus bouger, il ferme les yeux, se concentre. Le danger rôde. Qui est cet     individu maléfique, cet aveugle démoniaque ? Mélophine se pose les mêmes questions. Qui est-il pour résister à sa puissance de destruction vocale ? Il aurait dû se briser sous l’ouragan     musical. Que lui veut-il ? Elle aussi les paupières fermées, tente de rassembler ses pensées fracassées.  

 

    Le vent d’automne cogne sur les vitres, s’engouffre dans la cheminée. A l’étage au-dessus, le     silence. Mijoty a senti un froid glacial, perforer ses tempes. Son crâne comprime ses pensées     inquiètes. Un signe de mauvais augure...Son tubeless l’achemine à l’appartement de Mélophine. Son atterrissage vertigineux, sur la     corniche de la fenêtre produit un son métallique, tintinnabule les deux tourtereaux, ranime leurs peurs. Mélophine tremblante se love contre Arcan. Concentré, à l’écoute de ses pensées confuses,     il discerne à présent le chahut d’une rixe, à l’étage au-dessus.  

 

    -  Je vais voir ce qui se passe. Ne bouge pas, je reviens vite !

 

Il monte quatre à quatre l’escalier, passe la porte. Fasciné par son hypervision, il n’en     croit pas ses yeux. Trekaï et Mijoty se livrent en duel, une danse macabre. Leurs deux capes noires tournoient, scarifient l’air, humecté de leurs fluides exaltés. Leurs outrages colorent leurs     voltiges, leurs esquives, leurs chutes. Mijoty dans une incantation sépulcrale, assène à son Maître déchu, un ultime assaut. Trekaï s’agrippe à son âme démoniaque, profère en riposte une     conjuration. Mijoty connait toutes ces sentences et a su s’en protéger. L’observation assidue des dons phoniques de Mélophine l’a guidée dans ses recherches. Au laboratoire, elle a finalement     décelé une faille dans ces sortilèges, un antidote ultime : une guirlande de chants primitifs transforme les ondes vocales négatives en flux neutres. Elle égrène alors son chapelet préféré     de clameurs antiques. Un courant d’air spectral pulvérise ses dernières forces. Dans une brume poussiéreuse, Trekaï     se volatilise sous l’acide de son cri primal.  

 

Mijoty se tourmente. Elle sait que le combat n’est pas fini, ceci est une simple trêve. Où     sont ses deux favoris ? De sa perspective passe-muraille, elle les découvre enlacés. Mélophine blottit dans les bras d’Arcan, sent un vent glacial perforé leurs états d’âme.

 

Il est 7h02. La journée ne fait que commencer...

 

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A suivre...
LN

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