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Chatouillement De L'Âme
18 octobre 2014

Variations d'écriture aquatique...

Voici le récit d'une ville futuriste, imaginaire,  ville d'eau...

Ecume

 Cité Miroir

 Pouvez-vous imaginer une cité, dont les bâtiments, maisons, administrations sont entièrement de verre : verre poli, verre froissé, verre vitrail, vert de gris, vert émeraude, ver cassé, ver bouteille, verre piqué, verre verrine, et pour l 'hôtel de ville, l'orangeade, verre soufflé de Murano.

 Vue du ciel, la ville apparaît comme un gigantesque diamant, aux facettes bariolées, moirées, irisées par les reflets de lumière, une architecture ondoyante où s'allient des figures octogonales, hexagonales, carrées, sphériques, concaves ou convexes, toutes emboitées les unes aux autres, sans que l'esprit puisse en retrouver les lignes de démarcation.

Ces miroirs en cascade défient chaque regard, par leur surface lisse ou bosselée, opaque ou translucide, incolore ou teintée, réfractant chaque mouvement, chaque silhouette, chaque visage en une kyrielle d'images réfléchies, enchainées, confondues, figurant une peinture lyrique, insaisissable, en perpétuelle métamorphose.

 Voyageur gourmand, errant sur les contours des terres reculées, enclavées, insulaires, me voilà arpenteur de cette zone non identifiée. Kalydia n'apparait sur aucune carte, non répertoriée, elle semble surgir des profondeurs. A l'entrée de la ville, Carpe Diem, gravée sur le fronton du premier pont est l'une des nombreuses inscriptions dont j'appris bien plus tard que chaque habitant pouvait en être l'auteur-scripteur, après avoir reçu l'approbation du Cercle des Poètes Conteurs.

 Familier de mon âme solitaire, je déambule insouciant, envoûté par ces façades miroitantes qui diffusent des images floutées, enchevêtrées, fracturées. Qui regarde l'autre ? Je me sens épié, interpellé, mes pensées pénétrées par cette fondue enchaînée de formes et de couleurs.

Intrigué, animé par mon insatiable curiosité je cherche âme qui vive pour m'enquérir d'un lieu propice où séjourner un temps, que je décide incertain. Les ruelles sont désertes. Je perçois la nuit descendre sur les parois de verre. Les stores vénitiens en bois de hêtre déjà baissés masquent la vie intérieure.

 Soudain, un homme en toge blanche surgit, vient à ma rencontre, me salue d'un signe -la paume sur le cœur- et questionne ma présence. Dépliant mon itinéraire, je me présente voyageur sans frontières, nomade vétéran, sans désir et sans attente autre que d'être là où mes pas me conduisent.

Sans un mot, il appuye sa main sur mon épaule, de la seconde m'imprime une légère poussée dans le dos, m'invitant à le suivre. A chacun de ses pas son ample habit immaculé forme deux ailes d'ange ou d'albatros.

 Nous empruntons un dédale de voies pavées de galets, plusieurs ponts, tous de pierre aux arcs tressés en bois d'acacia, pour enfin arriver à la Maison des Hôtes, située dans le quartier Sud, le plus avancé sur les flots. Les humeurs nocturnes exhalent un bouquet subtil d'algue marine, enlacé à l'arôme de sable chaud, ce parfum vif né de l'accouplement de la mer et du ciel, qui enveloppe l'atmosphère au crépuscule. La lumière translucide se détache de la voûte céleste, couleur d'encre noire ce soir là, brisant les rubans épais anthracites, rompant l'unicité des cieux.

 Pénétrant dans ce havre de verre, je découvre une pièce en demi-lune, dont les stores vénitiens déjà tirés qui me protègent de la lumière et des regards indiscrets. Je les relève, découvrant une vitre concave sur toute la surface. L'intérieur a le goût de la quiétude. Une natte de bambou tressé, posée au sol, un tatamis au pied duquel un coffre d'ébène supporte trois livres imposants. Une table basse autour de laquelle quatre coussins, noirs, ronds, fermes imposent l'assise en tailleur. Un service à thé en verre soufflé, orange et bleu, couleur-symbole de la ville, est délicatement agencé sur un plateau de verre cristallin. La simplicité des lieux, le dénuement japonisant convient à ma respiration murmurée, mes mouvements feutrés, à un regard libre dont aucun objet vient entraver la ligne circulaire, la ligne de fuite vers le dehors, la vue panoramique sur le lac. Je remarque quatre globes sonores aux quatre coins de la pièce, qui diffusent des pièces musicales aquatiques : pluie sur toit d'ardoise,  pluie diluvienne cinglant les vitres, pluie clapotant dans les flaques, pluie pétillante sur la mer, pluie fine annonçant l'accalmie. J'actionne le seul bouton: en écoute successive:  bruissement du ruisseau, remous jubilant du torrent, vagues éclatées sur la rive, cascade trébuchant sur la roche, fontaine murmurante. Je me décide pour la fontaine frémissante. Des panneaux de couleur pastel, fixés au plafond, coulissant sur des rails, amovibles presque à l'infini renouvellent l'espace. Je m'amuse un moment à décliner différentes combinaisons et m'arrête sur un espace en L, un panneau rosé à la perpendiculaire d'un panneau bleu de Prusse, ouvert sur la paroi donnant sur le lac. Je m'allonge sur le lit, contemple la flaque lunaire sur l'eau, puis les yeux fatigués je m'endors rapidement.

 Un rêve étrange me réveille alors que l'aube encore évanescente, inonde la pièce. Je m'égare dans un labyrinthe translucide, croise des visages qui à mon approche s'évaporent, en une brume grisée.

Kalydia s'est infiltrée dans mon sommeil. D'où vient ce nom?  Kalydia. Qui a fondé cette cité non répertoriée, quelle en est la gouvernance, les modes vie. Autant de questions qui aiguisent mon appétence. Si certaines communautés, tribus que j'ai rencontrées restent peu connues, les cartes locales identifient toujours un élément topographique : un village, un site, le relief, l'altitude...

Ce lac ne semble pas si éloigné de la civilisation moderne pour rester un point aveugle de la planète.

 Au point du jour, fenêtre ouverte, je reconnais la sonate pour piano en La majeur de Schubert, qui semble s'échapper du dôme principal, un couvercle de carreaux nacrés.

Je décide de rester quelque temps dans la cité miroir.

LN

Gargnano Eté 2014

 

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