Epreuve sous surveillance...suite et fin.
« Cela ne durera que quelques jours. » Elle a bien perçu la touche conventionnelle de cette phrase qui se veut faussement rassurante. Elle a eu raison de se méfier. Les douleurs, après s’être étiolées le lendemain, devenaient terrifiantes. Toujours cette boule au fond de la gorge. Devra-t-elle s’y habituer ?
Voilà déjà trois jours qu’elle est rentrée, abattue mais débarrassée. Une bonne chose de faite. Elle savait qu’un jour ou l’autre elle devait franchir ce cap. Un essai avant le grand saut, celui dont personne n’est encore revenu. En rentrant chez elle, après l’expérience, elle fit comme si de rien n’était. « Oui, tout s’est bien passé. » Elle ne révélât rien. Néanmoins, une trace de sang sur le col de son chemisier blanc intrigua sa fille. « Ce n’est rien je t’assure. » Reprenant ses activités domestiques, elle sentit le regard inquisiteur de ses proches.
J+3. Son apparence, ses gestes, sa mine tourmentée exhalent des effluves d’angoisse, une curieuse étrangeté à elle-même. Quelque chose se trame au cœur de ses muqueuses. Elle se perd dans les rouages de ses entrailles. Elle prend conscience qu’elle ne se souvient plus exactement du contrat et des limites qu’elle s’est fixées. Ses préoccupations s’enroulent sur elle même, elle capte des signes, des craintes. Elle a des doutes sur l’intervention, elle les suspecte de ne pas l’avoir écoutée, du moins entendu ses interrogations transmises par ses gestes et son regard.
Ce soir là, elle se couche inhabituellement tôt pour fuir son inquiétude, reflétée dans les pupilles de ceux qui l’entourent. Elle se blottit, ouvre le livre et dès les premières lignes, se sent familière avec ce polar, sanglant, gore. Un univers machiavélique, le paroxysme de terreurs surréalistes, dans lequel elle peut expulser ses propres angoisses. Rassurée sur elle même, elle s’endort, pour quelques heures. Sa gorge brûlante la réveille. 3H56. Une gorgée d’eau la rafraîchit. Deux antalgiques, en une seule prise. Une douleur lancinante lui arrache un gémissement. Sans hésiter, elle se précipite dans la cuisine, ingurgite un jus de fruit réfrigéré. Son larynx est en feu. Elle se souvient : le seul remède, le miel. Avec délicatesse, elle laisse couler une gorgée, l’aspire. Sa bouche retient le liquide ambré, colmate la plaie par la douceur du nectar.
Tout devait rentrer dans l’ordre, rapidement, l’histoire d’un ou deux jours. Nous sommes au troisième jour et la souffrance se développe, se répand, se déplace, se fait plus prégnante, constante. Qu’ont-ils modifié d’elle-même, alors qu’elle était inconsciente ? Elle doit savoir ce qui se trame sous sa peau. Elle allume toutes les lumières du salon. Aplatissant la langue, elle entrevoit un sillon noir, et sur la paroi droite de son palais, un liquide blanchâtre, purulent. L’origine de sa douleur. Un dérapage de scalpel peut être irréversible. L’anesthésiant ambré s’évapore et atténue déjà ses vertus. Sans espoir de retrouver le sommeil, elle s’installe sur le canapé. Ramassée, sous le plaid, elle navigue dans les interstices de ses douleurs. Elle tente de les dissocier, pour mieux les repérer, les apaiser. La boule semble avoir disparue, avalée, dissoute. Mais son tympan vibre et martèle des élancements réguliers, tranchants. Elle appuie fortement son pouce sur son cou, la souffrance s’estompe. Elle patiente jusqu’au matin.
6H. Elle a pris la décision d’y retourner pour vérifier, pour qu’ils la libèrent de ce supplice. « J’exigerai des explications. » se dit-elle, en martelant le bitume, encore humide de la pluie funambule. Les rues sont désertes. La cité éteinte réverbère ses pensées dans le silence du petit matin. Son rythme s’accélère. Son tempérament combatif, progressivement se ranime. Ses muscles se tendent pour briser les crispations de son visage, fripé de douleur. Elle récupère.
7H30. Les portes viennent de s’ouvrir. Une femme m’accueille, me dérobe ma phrase assassine, longuement mûrie, ressassée toute la nuit. « Nous vous attendions. C’est un incident, cela arrive. Vous connaissez les lieux. Cela prendra quelques minutes. Tout va rentrer dans l’ordre. » Je reste muette. Précipitamment, je dévale l’escalier à droite. J’aperçois le Box 8. Aujourd’hui, c’est sans arrêt et sans appel. Les couloirs sentent la mort, l’absence de toute âme qui vive. Tout est à la même place. Ils manquent juste tous ceux qui devraient être là. J’attrape furtivement le tissu bleu du haut de la pile. Je dois me changer avant qu’ils arrivent. Je garde mes dessous. Des frottements sur le sol préfigurent deux silhouettes. « Allez, on se dépêche. On doit finir avant que les autres n’arrivent ».
Répétant la scène du J-3, ils me font rouler jusqu’au bloc, tirant ce chariot, au pas de course, jusqu’à une salle inondée de lumière électrique. Ils m’installent fermement sous le projecteur principal. « Une anesthésie locale suffira ». Sidérée, vidée de toute pensée, j’assiste les yeux grands ouverts à ma cicatrisation. Je ne ressens rien, j’observe. Je suis très calme. Leurs gestes sont vifs, minutieux et rapides. Derrière leurs masques, leur concentration est rivée sur mon visage, plus précisément au fond de ma gorge. Par des tours de passe-passe, ils s’échangent des ustensiles, suivis de regards entendus. « Voilà c’est fini. On vous ramène au Box 8, après vous n’avez plus besoin de nous. ». Je suis toujours seule dans ce sous-sol glacial. Le froid tue les microbes, m’ont-ils dit. Je récupère mes vêtements, remonte, soulagée. Le salon est maintenant comble. Eux aussi attendent l’expérience…
8H24. En traversant le grand hall, elle arbore un sourire franc. Un taxi l’attend. L’épreuve est finie. En relâchant sa surveillance, elle s’entend dire « Avant de rentrer, faites moi faire le tour de Paris. ».