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Chatouillement De L'Âme
4 mai 2010

Nouvelle

Bascule un soir d' Oh -rage

Orage7


Sixième fragment

Sa voix me parvint, tranchante.

 

- Ah ah !!! Tu croyais disparaitre à jamais, mais je t’ai retrouvé. Bon ….j’ai mis un peu de temps. C’est Mr Fregoli, l’instit, qui m’a mis sur la voie. Quand même, t’aurais pu donner de tes nouvelles. Huit ans maintenant que t’es parti, disparu. Mais qu’est ce qu’on t’a fait pour que tu ne te préoccupes pas de nous. Aucune nouvelle…

En fait t’a pas changé. Solitaire, zarbi, pas comme tout le monde. Et qu’est ce que tu as fait pendant toutes ces années ? Partir si loin pour travailler….Bon le principal c’est que je t’ai remis la main dessus.

- …..

- En fait y a un problème. Les parents… déclinent. Ils se font vieux. Faudrait qu’on se voie. Père est très malade et la vielle elle perd la tête. Ce n’est pas mon idée de te retrouver. Moi je t’ai zappé depuis longtemps. Je respecte…Mais le frangin il a insisté pour qu’au moins on vérifie. Mort ou vivant. Et il veut une preuve.

Il est droit et raide comme la justice. En procédant à tout de façon réglé, il croit acheter sa place au paradis. AH je suis bien entouré avec vous deux, les p’tits... Il m’a chargé de l’enquête. Et voilà t’es là….Quand même ca me fait plaisir que tu ne sois pas mort.

- …..

- Au fait,  Fregoli il a réclamé de tes nouvelles. Il est convaincu que t’es bien vivant et que tu t’épanouis, « que tu t’es trouvé » a-t-il dit. Trouvé…. Il en a des expressions. Moi j’ai rien trouvé. Que des galères. Bon on verra ça plus tard.

 

-  Oui…

 

- Alors faut que tu viennes et vite avant qu’ils meurent. Y aura des tas de trucs à régler.

 

- Mais ils sont très malades ?…seuls ?... toujours dans  la maison d’autrefois ?

 

- Maison d’autrefois ? Oui leur maison quoi !

On t’attend le weekend prochain. On se donne rendez vous chez le frangin. GREFFIRES il habite. Tu te rappelles où c’est. T’es pas bavard, t’as pas changé. Bon alors on compte sur toi ?

 

- Oui le weekend prochain. Mais je préfère aller directement à la maison. Je vous appellerai du village quand j’arrive.

 

Je notai son numéro dans ma tête, meilleur endroit pour s’en souvenir. J’étais abasourdi, vidé, alangui. Une seule rafale en direction  du passé et je craignais mon effondrement. Finalement ils ne m’avaient pas oublié. Le frangin s’était crispé sur sa rigidité tel le patter familial et l’ainé toujours très bavard, tournoyant sans fin autour d’une ligne spirale, logorrhéique qui le préservait de penser en silence et d’écouter les autres.

Cela ne me prendrait pas trop de temps. Un weekend. Et puis l’occasion de retrouver mes racines, peut être de remercier Fregoli.

 Je retournai à ma tâche. Pour la première fois l’attention n’y était pas. Je décidai, malgré moi, de partir à l’heure, ce soir là.

Une semaine s’écoula…

 

J’arrivai au village une fin d’après –midi, les nerfs survoltés. J’avais appelé l’ainé, laissé un message pour donner mon heure d’arrivée. D’instinct je me dirigeai vers le saule. Beaucoup plus étendu, ses ramages s’enfonçaient dans l’eau. Personne ne s’était préoccupé de lui depuis mon départ, abandonné semble-t-il.

 Je distinguai des voix, sourdes, ternes. J’avais peur… de la rage croupie dans la maison, de la tempête qui m’avait déjà habitée. Les poings serrés dans les poches je me dirigeai vers la maison. Rien n’avait changé. Tout s’était au contraire fortifié dans ses imperfections : le crépi de la façade terni, les broussailles et les mauvaises herbes s’étaient répandues, les débris, les vieux objets cassés avaient envahi la cour et la mousse sur le perron s’était si bien accrochée que cela créait un tapis de pelouse.

L’ainé sortit.

 

- Ah te voilà. Bon le frangin il ne vient pas. Retard pour son boulot… Je crois qu’il ne voulait pas te croiser. Il t’en veut à mort. Il pense que tu es responsable de sa vie miséricordieuse et  morne. Pourtant il est bien le seul à avoir réussi. Il gagne pas mal de pognon tu sais. Et toi au fait ? Faut qu’on en parle, que tu me racontes. Ca m’intéresse ce que tu fais. Après... Viens, allons d‘abord voir les vieux, après… on parlera tous les deux.

 

Depuis que j’étais arrivé le soleil s’était éclipsé pour faire place au ciel attristé. Les nuages se gonflaient, brunissaient. Là haut la menace se profilait. L’écume bistre des cieux se rassemblait. Une armée prête à se faire entendre. Mes yeux se souvenaient des tourments célestes prêts à défrayer nos soirées solitaires.

Le bras du frère m’attrapa avec fermeté pour m’entrainer vers l’intérieur. Je me retournai une dernière fois vers le saule. Mauvais présage. Je résistai une seconde.

 Ils étaient là. Deux pantins désarticulés, mornes, avachis. Leurs pupilles envahissaient leur corps. Deux auréoles blanches, une tache noire au centre me scrutaient. Pas un mot, ni un geste. Le feu crépitait encore dans la cheminée. Il faisait sombre. L’ainé me poussa face à eux sur le canapé, le même, toujours aussi dur. Les mêmes rideaux, encore plus sales, les meubles momifiés.

 

- Regardez qui je vous amène. J’ai retrouvé le p’tit. Toujours aussi peu bavard. Mais dites quelque chose.

- 

- Je vous le ramène et vous restez sans broncher. Mais réveillez vous avant que je vous secoue. Je me démène pour quoi? pour qui ? Louis ! Louis ! tu vas parler nom de Dieu.

Il se leva le poing serré, il s’étranglait de rage. Les vieux bouillaient. Dehors il pleuvait fort, la nuit tombait. J’avais froid malgré le feu.

Je tentais de me soustraire aux griffes acérées de l’aîné, au climat délétère. Une gravure chinoise. Un oiseau sur un arbre, d’une grande simplicité…Pureté du trait. Mais de nouveau l’aîné m’enferra de sa présence inéluctable, de son autorité de tout puissant, lui pourtant si fragile dans sa colère brute.

 

- Allez lève toi, raconte nous pourquoi tu nous laisserais crever.

 

- Laisse-moi tranquille…

 

L’aîné se transforma en  prédateur. Un froissement léger. Les vieux avaient bougé, le toisant avec affront. Il attrapa la pelle, farfouilla dans l’âtre. Il bougonnait, se mouvait dans tous les sens. Il me pétrifia. De nouveau je sentis ma voix s’évanouir. Les mots foisonnaient dans ma tête. Muré, claque muré comme autrefois. Je me levai. Il bondit. Des flammèches illuminèrent le sol, telles des diamants de lave. Et mes tympans résonnèrent de l’écho de l’oh-rage.

A suivre...

LN

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Commentaires
S
Salut Monsieur Dommage!<br /> Je me permets de m'immiscer dans votre histoire puisqu'elle se donne à lire et à commenter.<br /> Une histoire sombre et amère, à en pleurer!<br /> Comme est affligeante votre présentation identitaire fondée sur la célèbre invective d'André GIDE : "Famille, je vous hais!"<br /> Insatisfaction endémique qui pourrait bien nourrir la controverse exprimée dans "Le livre noir de la psychanalyse" : (le freudisme à tout <br /> va! bonjour les dégâts!).<br /> Voilà qui me remet en mémoire un essai de Pascal BRUCKNER dont j'ai fait la recension en 1995 :<br /> "La tentation de l'innocence". Tout en traitant la victimisation comme un mal français sur le plan politique, l'auteur ne s'est pas privé d'aborder une situation particulière, (je cite): celle de "la posture de la victime que la psychanalyse peut persuader d'une maltraitance psychique... Le freudisme a peut-être offert à certains une batterie inépuisable d'excuses et de faux-fuyants (mon enfance malheureuse, mes parents indignes) pour éclairer leurs actes, mais il n'a nullement contribué à exonérer l'individu de son autonomie et de sa responsabilité." Là est la fonction,quand elle advient, de la maturité.<br /> <br /> Je relève, Monsieur Dommage, dans les deux premiers fragments de votre histoire la qualification insistante de "vie ordinaire" (cité six fois). Mais l'ordinaire étant "ce qui est conforme à l'ordre des choses" la vie n'a d'ordinaire que la commune condition humaine qui nous fait naître, vivre et mourir. Ce qu'il y a d'extra-ordinaire dans toute vie, c'est la singularité de chaque histoire, laquelle entre inné et acquis, permet de se construire et fait de chacun de nous un être unique, une personne sacrée. Vous parlez de "famille banale"; or aucune ne peut être banale, en raison de son origine propre, de son ascendance particulière et de la conception que chacun se fait de la transmission d'une culture.<br /> <br /> La liberté n'est jamais évoquée dans votre histoire; or être libre, c'est s'arracher à sa naissance tout en l'assumant, s'émanciper en allant de l'avant sans trop se fixer sur le rétroviseur! Je me permets de vous recommander la lecture d'un livre qui vient de<br /> paraître : "L'enfant de la chance" de Thomas BUERGENTHAL, Juge à la Cour Internationale de Justice de La Haye dont je vous laisse découvrir la nature d'une telle chance!<br /> <br /> Sixième fragment :<br /> <br /> O rage, ô désespoir! ô vieillesse ennemie!... Cet épisode est plus affligeant encore! On devine un mépris sans concession à l'égard des vieillards recroquevillés que sont devenus ces parents par vous présentés comme les rejets d'une vie ordinaire, trop ordinaire ? Une fratrie glapissante ou rancunière complète ce sombre tableau.<br /> Vous-même, Monsieur Dommage qui, à 62 ans, êtes près de la vieillesse, ne sombrez pas dans une telle déchéance. Lisez le dernier livre de Marie de HENNEZEL , écrit en collaboration avec le philosophe Bertrand VERGELY, qui a pour titre : "Une vie pour se mettre au monde" ou "comment naître quand on est vieux ?" avec un témoignage sur la fin de vie de la psychologue Christiane SINGER : "toute la vie est une oeuvre de venue au jour, à l'émerveillement d'être, à la joie".<br /> <br /> Je vous souhaite, Monsieur Dommage, de connaître cet émerveillement que procurent la relation avec ceux que nous aimons et les ressources léguées par nos prédecesseurs dont la spécialisation qu'est la vôtre vous permet d'apprécier la richesse. Les dons de la vie, de la nature et de nos amis sont inépuisables. A chacun d'en saisir les bienfaits! <br /> L'orage lui-même use de sa violence pour apaiser la rage des éléments qui s'entrechoquent afin de nous restituer un ciel serein. FIN
F
vivement la suite à quand ta nouvelle à la FNAC? (lol) je suis allé voir tes peintures j'aime bcp "voyage" "paysage du maroc" et 'sausan" mais mon préféré va vers "bateu fantome" (clin d'oeil) elles dt à vendre tes peintures? <br /> a bientot bisous
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