Nouvelle
Bascule un soir d' Oh -rage
Quatrième fragment
Mes parents étaient trop occupés pour s’occuper du petit qui devenu fort sage ne se faisait plus entendre. Habitués à mes fantaisies griffées sur toutes les surfaces, ils ne les voyaient plus. J’étais devenu une âme, ile flottante au milieu de la baie familiale. J’avais passé le gué, échoué sur l’autre rive, celle où personne ne va sans se perdre et qui n’en revient pas indemne.
Durant cette période les miens me semblaient des marionnettes agitées, gigotant, hurlant, somnolant aussi. Mes deux frères ainés résidaient à l’étage dans une seule chambre. Je circulais entre les trois étages. La délimitation, l’appropriation d’un territoire dans cette maison m’enserrait, me limitait. Je choisis d aller là où personne ne rôdait. Telle une ombre, un reflet sur les parois de leur univers, je me glissais dans les interstices du temps journalier du clan familial. Ma couverture, toujours en cape sur mon épaule, je sommeillais ici où là, par terre, au pied du lit de mes frères ou sur le canapé dur du rez de chaussée. Les soirs d’orage je descendais au sous sol et dessinais avec frénésie jusqu’au dernier coup de tonnerre. L’irruption du souffle terrestre envahissait mon corps. Le rythme torrentiel s’incarnait dans mes gestes larges, mes mains tremblantes. Le noir de l’encre s’empara de moi. Les papiers se noircissaient au-delà de leurs frontières, allant se répandre sur le sol. J’exultais, je tremblais, habité par la colère céleste, devenue mienne. Au terme de ma chute, je m’effondrais, traversé par les spasmes tempétueux des nuits noires et hurlantes.
Comme tous les enfants du village je poursuivis l’école communale, le collège puis le Lycée. Je réussis brillamment les examens, toujours sans voix, sans agitation et je devins l’élève préféré de ces maitres timorés qui avaient toujours rêvé d’un enfant docile, attentif, soumis au Savoir. J’avais compris très tôt que le prix de ma tranquillité résidait dans mon silence et mon attention exceptionnelle aux attentes des adultes. J’étais préservé de leurs inquiétudes à mon sujet. Agile, habile je me suis confectionné un sourire incrusté, innocent, confiant. C’est par cette grimace figée que j’échappais à leurs regards trop insistant, à leurs yeux scrutateurs. Aujourd’hui je l’ai perdu. Il ne m’appartient plus de sourire. Malgré un entrainement de plusieurs mois, je ne l’ai jamais rattrapé.
Au sortir du lycée je devins moins prolixe. Je me répétais, je recopiais,
je ne trouvais plus de respiration dans mon tracé. Devenu plat, rigide, parfois
tremblant, incertain, sans assurance les lettres se faisaient fades. Je perdais
pied, je ne savais plus où puiser l’encre. Je finis par déverrouiller mon
armure et revins à la civilisation. Epuisé,
désœuvré, je capitulai et repris une vie normale. L’œil observateur, le pavillon
ouvert je glanais tous les borborygmes, les mots, conversations, les scènes de la vie ordinaire. Réveiller mes
papilles tactiles, faire de nouveau vibrer mes sonorités lettrées.
A Suivre ...
LN